jeudi 13 mai 2010

MAMADOU SARR, secrétaire exécutif du FONADH à propos des réfugiés au Mali:

"S’il y a retard dans leur retour, c’est essentiellement au niveau du gouvernement mauritanien qui doit prendre des mesures diligentes"

Deux ans après le début des opérations de rapatriement des réfugiés mauritaniens vivant au Sénégal, celles concernant les réfugiés au Mali tardent à être démarrées. Du coup, on s’interroge déjà si leur retour aura lieu ou pas. Parce que, jusqu'à présent, le gouvernement mauritanien n’a pas encore engagé des démarches diplomatiques visant à entamer le processus de rapatriement des réfugiés mauritaniens établis sur le territoire malien. Et aux yeux de Mamadou Sarr qui est le secrétaire exécutif du FONADH, l’Etat mauritanien doit prendre des mesures diligentes afin que nos compatriotes qui sont au Mali puissent rentrer et retrouver leurs droits dans le cadre d’un retour organisé.

Le Rénovateur Quotidien : Les opérations de rapatriement des réfugiés du Mali ne sont pas encore à l’ordre du jour. Qu’est-ce qui explique cette lenteur ?

Mamadou Sarr : Effectivement, au sujet des réfugiés qui sont restés au Mali, rien encore n’a été décidé. Il y a eu déjà un recensement qui a été fait. Mais, tant qu’il n’y a pas un accord triparti entre la Mauritanie, le Mali et le HCR, ces compatriotes ne peuvent pas revenir dans leur pays. Toutefois, nous continuons à poser le problème pour que, réellement, le traitement qui a été donné aux réfugiés qui étaient au Sénégal, le soit avec ceux qui sont au Mali. C’est regrettable de constater que jusqu’à présent, rien n’a été fait par rapport à leur retour. Les réfugiés qui sont au Mali sont au nombre 15.000 et beaucoup d’entre eux veulent rentrer.

Le Rénovateur Quotidien : A quel niveau, la situation traine-t-elle ? Au niveau du gouvernement mauritanien ? Du HCR ? Ou du gouvernement malien ?

Mamadou Sarr : Elle traine au niveau du gouvernement mauritanien. Dans ce genre de problèmes, c’est le gouvernement mauritanien qui devrait mener les démarches nécessaires. Le HCR, c’est une institution des Nations Unies qui ne peut rien décider par rapport à cette question.

C’est le gouvernement, comme il l’a fait au niveau du Sénégal, qui devrait inciter à trouver une solution dans la mesure où toutes les autorités reconnaissent que ce problème a existé, que la déportation en 1989 a bien eu lieu dans des conditions que tout le monde connait. Aujourd’hui, le premier pas qui a été fait au niveau du Sénégal devrait l’être au niveau du Mali. S’il y a retard dans leur retour, c’est essentiellement au niveau du gouvernement mauritanien qui doit prendre des mesures diligentes afin que nos compatriotes au Mali puissent retrouver leurs droits dans le cadre d’un retour organisé.

Le Rénovateur Quotidien : Peut-on comprendre par là que le régime de Mohamed Ould Mohamed Ould Abdel Aziz est moins engagé que celui de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi par rapport à cette question ?

Mamadou Sarr : Ce qu’il faut comprendre, c’est que Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi a fait un grand pas en reconnaissant, de manière officielle, ce qui s’est passé durant les années de braise.

Il faut reconnaitre cela et qu’en plus, il y a eu un processus qui a été commencé avec lui en 2008 pendant qu’il était Président de la République. Il a lancé le premier jalon. Mais en outre, il faut reconnaitre qu’avec l’arrivée de Mohamed Ould Abdel Aziz, les choses ont continué.

A ce niveau, je pense que chacun a joué son rôle par rapport à cette question. Si après le coup d’Etat du 6 août 2008, il y avait eu arrêt du processus, c’est ce qui allait être dommageable Aujourd’hui, 19.000 de nos compatriotes qui étaient au Sénégal sont rentrés. On peut dire qu’il y a eu un effort par rapport à cela. Même s’il y a des insuffisances, on peut dire que le processus de retour, une fois amorcé, a continué.

Le Rénovateur Quotidien : Depuis le 31 décembre 2009, les opérations de rapatriement assisté du HCR ont pris fin. Le fait que cette institution se retire vous rassure-t-il par rapport aux opérations de rapatriement dont le chapitre semble clos ?

Mamadou Sarr : Non, le chapitre n’est pas clos ! Au niveau du HCR, il y a un processus. Le premier processus, c’était un processus assisté. Ce processus n’est pas définitivement arrêté. Seulement, il fallait que la commission tripartite se réunisse pour voir et éventuellement analyser la situation. Mais, à ce niveau, jusqu’à présent, la commission ne s’est pas encore réunie. Donc, le processus en tant que tel n’est pas arrêté.

Il est arrêté par rapport à la première approche. Nous pensons que, dans les meilleurs délais, la commission tripartite va se réunir. Et d’autres processus vont être enclenchés. Tant que cette commission ne s’est pas encore réunie, on ne peut pas enclencher un autre processus. Aujourd’hui, ce qui est sûr, c’est qu’il y a une forte demande de la part de ceux qui sont restés au Sénégal notamment dans les grandes villes. On dénombre parmi eux des fonctionnaires qui veulent rentrer.

Le Rénovateur Quotidien : Au sujet de l’intégration effective de tous les fonctionnaires et agents de l’Etat qui ont été illégalement radiés de la fonction publique, la manière dont elle est gérée par le pouvoir en place, vous semble-t-elle répondre à vos préoccupations et celles des victimes ?

Mamadou Sarr : L’approche qui a été utilisée pour les fonctionnaires de l’Etat me parait bonne. On peut dire que c’est une commission dirigée par le directeur de la fonction publique qui a été désignée au niveau du Conseil des ministres pour essayer de piloter ce dossier. La manière dont les recensements ont été menés nous satisfait dans la mesure où on a essayé de faire des recensements aussi bien au niveau des agents et fonctionnaires qui sont en Mauritanie et au niveau de ceux qui sont à l’extérieur.

On a quand même tenu en compte toutes nos préoccupations à savoir que toutes les victimes soient recensées. Maintenant, il s’agit de savoir comment le dossier va être traité au niveau de cette commission. Il faut savoir aussi que ce n’est pas seulement les fonctionnaires et agents de l’Etat qui sont concernés. Il y a aussi d’autres travailleurs qui ont servi au sein de certaines entreprises nationales comme la SNIM, la SOMELEC ou comme d’autres sociétés. Ces personnes n’ont pas été prises en compte.

Nous espérons qu’elles seront rétablies. Au niveau de cette action, il faut qu’on tienne en compte les autres catégories qui ont été victimes comme les paysans et les éleveurs. Quel est le sort qui leur sera-t-il réservé ? Quand on parle de réconciliation nationale, il faut prendre en considération tous les facteurs, les problèmes et essayer de façon consensuelle à trouver des solutions. Telle est notre démarche et nous allons continuer à appuyer cela pour que vraiment toutes les victimes puissent être rétablies dans leurs droits.

On peut dire qu’il y a un pas qui a été déjà fait. On sent une volonté politique de régler cette question. Nous ne pouvons qu’apporter notre appui. L’ensemble des problèmes des déportés doit être pris dans leur globalité et nous pousserons les autorités compétentes à prendre en considération toutes leurs préoccupations en vue de créer un déclic.

Le Rénovateur Quotidien : Parmi les questions en suspens dans le cadre du règlement du passif humanitaire, il y a celle relative à l’ouverture d’une enquête indépendante afin de clarifier le sort des personnes portées disparues, d’identifier et de traduire en justice les auteurs. Croyez-vous que Mohamed Ould Abdel Aziz va oser franchir le rubicond en l’ordonnant par exemple ?

Mamadou Sarr : Quand un Président de la République reconnaît qu’il y a eu une situation, cela nous réconforte. Aujourd’hui, je crois qu’aucun mauritanien n’ignore ce qui s’est passé. La meilleure solution, c’est d’avoir le courage de poser le problème. C’est pourquoi nous disons que le passif humanitaire reste aujourd’hui un problème pendant.

Nous estimons que la meilleure approche, c’est de mettre en place une commission d’enquête indépendante qui disposera de toutes ses prérogatives pour faire la lumière de ce qui s’est passé. Les coupables doivent être jugés. Quand nous demandons qu’ils soient jugés, cela ne veut pas dire qu’on demande à ce qu’on leur coupe la main. Tel n’est pas notre objectif. Notre objectif, c’est que plus jamais, de telles choses ne se passent en Mauritanie. Le seul moyen de le faire, c’est que les victimes sentent que les bourreaux ont été jugés.

C’est notre approche et nous continuons à le faire. On a donné "quelque chose" aux veuves et ayants droits mais nous estimons que ce n’est pas suffisant, en tout cas, pour régler le problème du passif humanitaire. Même le Président de la République doit être conscient que cela ne règle pas fondamentalement le problème parce que si tel était le cas, la question serait réglée depuis très longtemps. Pour nous, le devoir de mémoire est très important, le devoir à la vérité c'est-à-dire mener des investigations. Cette commission doit être mise en place. Mais, essayer de rester dans le flou ne réglera pas fondamentalement cette question.


C’est pour cette raison que nous insistons sur la mise en place de cette commission indépendante pour que réellement ce problème du passif humanitaire comme le problème des victimes des évènements de 1989. Par rapport à ce dernier point, on a mis en place une commission chargée de statuer sur la situation des déportés. Pourquoi ne pas avoir la même approche par rapport au passif humanitaire ? Aujourd’hui, le seul moyen de permettre aux mauritaniens de se réconcilier, c’est de mettre en place cette commission qui va faire toute la lumière et trouver une solution idoine à ce problème.

Le Rénovateur Quotidien : Concrètement, qu’est-ce qui retarde la mise en place de cette commission d’enquête indépendante ?

Mamadou Sarr : Je n’ai pas d’informations précises là-dessus. Bientôt, nous allons demander à rencontrer le Président de la République. Je tiens à rappeler que le jour de sa démission (pour se présenter à l’élection présidentielle du 18 juillet 2009, Ndlr), il nous a reçus et nous lui avions expliqué l’ensemble de nos préoccupations par rapport au passif humanitaire, aux déportés, à l’esclavage, à l’impunité, à la corruption et surtout au problème des terres. Cet aspect foncier pose un sérieux problème. Aujourd’hui, il est élu.

Nous allons le rencontrer pour voir l’état d’avancement de ces dossiers. Il y a certains pas qui ont été accomplis au niveau de certains dossiers mais nous estimons que beaucoup de choses restent à faire. Donc, aujourd’hui, étant lu, il doit être en mesure, par rapport à nos préoccupations, de pouvoir donner des réponses. Nous pensons qu’il y va de l’avenir de la Mauritanie. Déjà, il y a une piste sur laquelle on est engagé, il faut aller jusqu’au bout.

Le Rénovateur Quotidien : Vous avez tantôt évoqué le problème foncier. Il semblerait que les rapatriés seraient installés sur des terres appartenant à des autochtones comme la communauté Harratine. Une telle situation ne risque-t-elle pas de dégénérer ?

Mamadou Sarr : Dans l’accord triparti, il était clair que les rapatriés doivent disposer de leurs biens mobiliers et immobiliers dont les terres agricoles. Mais, ce que nous sentons aujourd’hui, que surtout, au niveau de l’autorité locale, il n’y a pas une volonté de régler ce problème. Quelqu’un qui avait un périmètre qu’il a aménagé, s’il revient, il n’y a pas de raison qu’on ne lui remette pas ses terres. Je donne l’exemple de Médina Salam. Un cas flagrant. La personne est venue s’installer sur son terrain, au lieu que l’autorité locale l’aide à ce qu’elle puisse reprendre ses terres, on lui crée des problèmes.

D’abord, on l’arrête, le défère et ensuite on autorise quelqu’un d’autre à exploiter ses terres. C’est cela qui crée la frustration. Des gens se sont accaparés des terres des rapatriés. Ce n’est pas normal et il faudrait qu’au plus haut niveau qu’on se penche sur cette question foncière sinon elle peut être grosse de tensions. Cela peut pousser les populations à réagir. Je vous rappelle qu’il y a eu une circulaire sortie au mois de mai 2009 par rapport à cette question. On est au mois de février et jusqu’à présent, cette question n’est pas encore réglée. En tout état de cause, les rapatriés ne demandent qu’à être rétablis dans leurs droits. Malheureusement, malgré leur patience, il n’y a pas de répondant. C’est là où le bât blesse par rapport à cette question foncière.


Propos recueillis par
Babacar Baye NDIAYE

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