jeudi 13 mai 2010

Djéol : La jeunesse entre mariages précoces et émigration

Bien plus qu’une culture, les mariages précoces, à Djéol, donnent un aperçu du cadre social de cette commune, sans électricité, située à plus de 18 km de la ville de Kaédi. Les mariages précoces sont inhérents à leur cadre de vie. Et pourtant, la loi interdit une telle pratique qui, aux yeux de bon nombre des habitants, occupe une dimension naturelle et fondamentale de leur existence.

Néanmoins, des voix, naturellement de femmes, s’élèvent de plus en plus pour dénoncer cette pratique. Créée depuis 2005, l’Association Yakaré Débo (l’Espoir de la femme) dirigée par Oumou Diyé Bâ, a inscrit dans ses actions, outre la scolarisation des filles, l’alphabétisation, l’émancipation de la femme et l’égalité des sexes, la lutte contre les mariages précoces qui sont devenus l’une des causes de l’échec scolaire des filles au niveau de Djéol. Ce combat d’éveil ne se fait pas non sans quelques obstacles.

"C’est une pratique contre laquelle on n’a jamais cessé de battre en brèche. Il est intolérable et inconcevable, aujourd’hui, de voir des jeunes filles de moins de 15 ans interrompre leurs études ou leur avenir gâché. Au niveau de notre association, nous appuyons toute initiative allant dans le sens de combattre les mariages précoces. Nous avons pris, depuis quelques années, la mesure de comprendre cette pratique qui va à l’encontre des droits de nos filles", explique Oumou Diyé Ba.

Agir au niveau des consciences

On sait aujourd’hui que les mariages précoces qui annihilent l’émancipation des filles sont souvent promus par les hommes. Et pour Oumou Diyé Bâ, c’est au niveau de leur conscience qu’il faut agir pour pouvoir porter le message de la sensibilisation. Tenter de convaincre les pères de famille d’accorder à leurs filles la chance de faire des études poussées, c’est la seule arme dont elle dispose aujourd’hui. Pour ce faire, l’association Yakaré Débo qu’elle dirige tient régulièrement des rencontres avec les grandes personnes du village pour les sensibiliser autour de cette question.

A Djéol, les femmes se mettent aussi à l’air du temps, le temps de refus et des revendications du respect de leurs droits. Comme celui de permettre à leurs filles de suivre leur cursus scolaire. Les mariages précoces deviennent de plus en plus inquiétants. Déjà, l’année dernière, 33% des élèves mariées avaient entre 11 et 15 ans.

Conséquence : les filles talonnent de très loin les garçons en termes de performance scolaire. Une situation qui préoccupe grandement Sy Alhousseinou qui est le directeur du lycée de Djéol depuis trois ans.

"La plupart des élèves du lycée viennent des villages environnants. C’est un milieu rural où l’endogamie est un phénomène très poussé et où également les mariages précoces sont légion avec un pourcentage très élevé", dit-il.

Dans des zones où le poids de la tradition est très lourd, il est très dur de mener le combat. D’ailleurs, en véritable pèlerin, le directeur du lycée de Djéol se rend régulièrement dans les villages à proximité pour sensibiliser les parents qui sont les premiers concernés par ce phénomène.
Pour lui, il faut mener un combat d’arrache-pied afin de résoudre ce fléau. "Cela passe nécessairement par la communication, par un changement des comportements, par la mobilisation sociale à un échelon supérieur par le plaidoyer", indique Sy Alhousseinou qui n’a pas manqué de regretter la faible implication de la société civile locale par rapport à cette question.

Les pas franchis dans le domaine de la lutte contre les mariages précoces sont encore timides dans la commune de Djéol. Mais, néanmoins, des organisations internationales, comme la Croix-Rouge, World Vision, le Groupement Régional pour le Développement Rural (GRDR) ont fait aussi sienne cette lutte qui a vu l’adhésion des autorités locales pour renverser la tendance actuelle.

"Nous n’avons pas encore élaboré une stratégie de lutte contre les mariages précoces. Mais, nous sommes en train de nous mobiliser corps et âme pour mener une campagne de sensibilisation", a affirmé Abdoulaye Moussa Bâ, maire de la commune de Djéol. "Si nous étions capables de prendre des mesures tout de suite, nous ne tarderions pas à le faire", a-t-il poursuivi comme pour expliquer qu’il appartient de prime abord aux pouvoirs publics de s’y impliquer pour entraîner dans leur sillage les collectivités locales.

L’émigration, un mal nécessaire ?

A Djéol, il n’y a pas que les mariages précoces qui obnubilent la mairie, les associations et le corps enseignant. L’émigration est en train de vider la jeunesse de cette commune. Pour beaucoup de jeunes comme Oumar Amadou Bâ qui est en classe de 3ième année Collège, le chemin le plus court pour réussir dans la vie est d’emprunter celui de l’émigration.

"Les conditions de vie sont très difficiles ici, se justifie-t-il. Et Dieu seul sait, si on va ou non réussir dans les études. Pour ne pas perdre mon temps, je préfère abandonner mes études et partir comme tout le monde".

Cette envie de partir qui gagne de plus en plus le cœur des élèves de la commune de Djéol n’a pas laissé indifférent le directeur du lycée Sy Alhousseinou qui estime que seule l’école est capable de juguler ce fléau.

"L’Afrique a besoin de ses valeureux fils et s’oppose vaille que vaille à la fuite des cerveaux au moment où de l’autre côté de la méditerranée, dans l’Hexagone, on parle de l’émigration choisie", tente-t-il d’expliquer.

Le problème de l’émigration parait beaucoup plus complexe. L’apport des ressortissants de Djéol dans la réduction de la pauvreté et de l’élévation du niveau de vie des populations est non négligeable. Il en est de même dans le domaine de l’éducation, de la santé, de l’agriculture et de l’élevage.

"Tout ce qui est vivant ici, je ne vais pas dire appartient totalement aux émigrés, en tout état de cause, ils sont les premiers piliers du développement de Djéol", reconnaît le maire de cette commune. A titre d’exemple, les émigrés de Djéol, en plus de la ville de Noisy-Le-Sec en France, ont participé financièrement à la construction de l’école 3, du centre de santé et de l’extension du lycée.

Même si Abdoulaye Moussa Bâ ne partage pas l’émigration, il comprend tout de même les raisons qui ont poussé un certain nombre de Djéolois d’émigrer. "Je ne suis pas entièrement d’accord avec l’émigration mais je ne suis pas non plus en mesure d’empêcher les velléités d’émigration. Il nous est très difficile de pouvoir retenir les gens au bercail. Il y a certains qui le font malgré eux parce qu’ils sont en face de situations qui font qu’ils sont obligés de s’adonner à l’émigration", explique-t-il.

Babacar Baye NDIAYE

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