Nous sommes à moins de trois semaines du début de la campagne présidentielle du 18 juillet prochain. Déjà, à l’heure actuelle, la chasse des voix semble avoir commencé. Cette chasse se fait souvent en dehors du respect de l’éthique et de la morale politique.
Les uns l’appellent “achat de conscience” et les autres “détournement du suffrage des électeurs”. Aucun régime politique du pays n’a pas échappé à cette pratique qui semble avoir la peau dure en Mauritanie. D’où la difficulté de le combattre.
Les avis sont unanimes au sujet de ce phénomène qu’on lie souvent à la pauvreté qui gagne de plus en plus de terrain. L’achat des consciences, aux yeux du Dr. Hassane Ould Amar Belloul, chef du département de Sociologie et de Philosophie à l’Université de Nouakchott, pose un véritable problème politique en Mauritanie.
“C’est un phénomène qui dénote d’un échec politique. Les gens n’ont plus confiance. Le résultat de la plupart de nos décideurs politiques est égal à zéro. L’électeur mauritanien ne voit pas dans quel intérêt doit-il donner son vote ? Comme il voit que l’autre ne fait que son intérêt propre ou celui de sa tribu, il se dit que j’aimerai avoir ma valeur directe”, explique-t-il.
Le fruit d’une absence du concept de citoyenneté
Pour certaines personnes interrogées à ce sujet, l’achat des consciences est le résultat d’une absence d’un encadrement politique sain. C’est un phénomène qui est aussi lié à l’ignorance et surtout à l’absence du concept de citoyenneté dans l’esprit des mauritaniens. “Les gens ne savent pas à qui voter. Pourquoi doivent-ils voter ? Pourquoi doivent-ils participer ?”, explique-t-il.
Cette absence de vision claire est due à l’en croire par le comportement du politicien lui-même. “Comme il ne veut que gagner, il va voir quel est le coût qui va lui faire gagner. Donc, il faut acheter. On dit en général que la démocratie est un système qui est relié avec l’argent. Nous sommes dans un pays où le concept de citoyenneté est absent”, poursuit Dr. Hassane Ould Amar Belloul.
Le revers de la médaille d’un tel phénomène c’est qu’il constitue un frein à la démocratie et notamment à l’exercice et à l’émancipation de la libre citoyenneté. “Dans un pays aussi pauvre que le nôtre, on a intérêt à ce qu’on développe et prône une démocratie qui est reliée avec le développement. Si on ne se comporte pas ainsi, tous les objectifs assignés à la démocratie ne seront pas atteints”, se justifie-t-il.
Il est évident que dans cette course effrénée vers le détournement du suffrage des électeurs, les programmes n’ont plus de raison d’être. “Nous sommes une société traditionnelle. Même si on n’achète pas la conscience, les gens ne votent pas pour les programmes. Ils votent pour la tribu, la race, etc. On n’a pas une vraie conception du vote”, rappelle-t-il.
Pour le Dr. Hassane Ould Amar Belloul, il n’y a pas de recette miracle. “Il faut conscientiser les gens en les inculquant une éducation citoyenne qui peut changer leur comportement. Il faut aussi que les politiciens changent leurs comportements et soient corrects quand ils s’engagent”, préconise-t-il.
Un phénomène compréhensible
Les mauritaniens ont toujours été coutumiers de ce fait qu’on assimile souvent à l’échec général des hommes politiques, au système politique mauritanien et à une absence de moralisation de la scène politique nationale. Ainsi, dans de telles conditions, peut-on parler d’élections crédibles ? Le doute est permis.
“C’est quelque chose d’inacceptable”, s’insurge Shérif Taher, professeur de Sociologie à l’Université de Nouakchott. “C’est un phénomène, à la limite, compréhensible. Nous sommes dans une société où plus de 50% de la population vivent au seuil de la pauvreté. On devient hélas une proie facile de la classe politique”, souligne-t-il.Qui dit achat de conscience dit argent à sortir pour épater les électeurs ! Ainsi, ce sera le moyen de dilapider les deniers publics sous le nez et la barbe de tout le monde. “Ils essaient de les réinvestir à nouveau pour garder leur puissance”, fait-il observer.
Le phénomène de l’achat des consciences n’est-il pas l’aboutissement d’une expérience démocratique inachevée, la faillite de tout un système politique, l’effondrement des valeurs de la République mais surtout l’érection d’un nouveau comportement, d’une nouvelle méthode d’accession au pouvoir et à coup sûr le chemin le plus rapide pour se percher confortablement sur la tête des citoyens ?
Les véritables fondements d’un tel phénomène sont à rechercher dans la nature même des mauritaniens. “Ici, les gens n’aiment que l’argent. Ils votent pour les plus offrants généralement”, analyse Camara Dramé. “C’est d’abord des hommes qu’on amène chez l’administrateur, qu’on photographie et le jour du vote, c’est d’autres qui votent pour lui et qui vont lui dire il faut voter pour la personne qui lui a été indiquée”, détaille Ladji Taroré, le secrétaire général de l’Alliance Populaire Progressiste (APP).
Le poids de la tradition
La tradition joue un rôle important dans l’ancrage d’une telle pratique. Mais, pour Ladji Traoré, le détournement du suffrage des électeurs n’est pas que matériel. “Il est aussi sociologique et idéologique, explique-t-il. Le meilleur moyen de détournement des voix et du suffrage des électeurs, c’est encore le poids de la tradition, de l’esclavage et de l’esprit de clans qui pèsent sur beaucoup d’électeurs qui sont sensés être des citoyens mais qui ne sont pas des citoyens libres. Le suffrage universel ne s’adresse pas aux citoyens aliénés”.
Le détournement du suffrage des électeurs est un fait, une réalité qu’on ne peut nier. Déjà, Pierre-Auguste-Joseph Messmer l’évoquait dans ses Mémoires où il explique comment les chefs de tribus, de fractions et les Emirs viennent auprès de l’administrateur pour vérifier les résultats des élections, pour peser sur ses élections et s’assurer qu’il n’y a pas eu de faille dans leurs tribus, leurs clans et que tout le monde a voté pour le candidat de l’administration coloniale. “C’est le même système qui continue dans certaines régions de la Mauritanie”, rappelle Ladji Traoré.
En effet, ce phénomène est plus récurrent à l’intérieur du pays du fait de la pauvreté extrême qui y règne, du fait de l’effet de l’argent, des promesses des candidats à un poste électif, de la corruption des chefs de village, de campement, des tribus qui s’engagent à faire voter l’ensemble des citoyens qui leur sont encore soumis. Comme dans le passé, l’achat des consciences a toujours cours en Mauritanie. En réalité, un tel phénomène qui est intrinsèque à l’argent va plus loin. Un tel acte somme toute contraire à l’éthique et à la morale politique est plus que jamais omniprésent. Même les leaders politiques n’y échappent pas.
Et ceux-là qui le font où prennent-ils tout cet argent ? “Certains candidats à l’élection présidentielle du 6 juin [qui a été finalement reporté] ont été achetés pour pouvoir accompagner le général Aziz”, rappelle Ladji Traoré. Ainsi, pour épater la classe pauvre qui constitue l’essentiel du réservoir électoral, certains hommes politiques ne lésinent pas sur les moyens. Il n’est pas souvent rare de tomber sur des spectacles insolites. On distribue par-ci et par-là des sacs de riz, du poisson dans certains quartiers de Nouakchott, des vivres. On promet des puits, des forages. On donne de l’argent cash contre la confiscation de la carte d’électeur.
Est-il possible de s’en débarrasser?
Pour le moment non. Toutefois, il y a une prise de conscience qui a commencé à naître dans l’esprit des citoyens croient certains. Comme toute pratique, il faudra du temps pour s’en débarrasser. Pour autant, certains mauritaniens veulent y croire. “Je suis de ceux qui pensent que les populations sont aujourd’hui éveillées en ce qui concerne ce phénomène là. Les gens savent ce qu’ils veulent. Maintenant, il y a ceux qui cherchent à pérenniser cette pratique d’antan.
Je pense que tout pays qui se veut sérieux doit vraiment essayer d’appliquer d’autres pratiques qui ne sont pas que l’achat des consciences”, affirme El Housseine Dieng, président de l’Initiative Pour Tous, une Ong qui s’active dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et l’analphabétisme. “Ce que nous voulons expliquer aux populations, c’est que les gens qui vont venir acheter vos voix vont vous oublier demain et les problèmes qui sont là, il faut mettre l’homme à la place qu’il faut”, poursuit-il.
Il n’y a pas de problèmes qui ne puissent pas trouver solutions. Et, pour M. Ladji Traoré, la Mauritanie peut bel et bien se débarrasser d’un tel phénomène. Cela suppose, à l’en croire, un jeu ouvert, un Etat civil généralisé (actes de naissance, carte d’identité, carte d’électeur…). “Le jour où on prendra en Mauritanie au sérieux le phénomène de l’Etat civil qui est la base de comptage du citoyen, on aura déjà réglé un grand problème”, soutient-t-il. “Quand il y a l’esclavage, quand il y a la pression de la féodalité, on n’aura pas des citoyens libres qui pourront voter librement”, conclut-il.
Les uns l’appellent “achat de conscience” et les autres “détournement du suffrage des électeurs”. Aucun régime politique du pays n’a pas échappé à cette pratique qui semble avoir la peau dure en Mauritanie. D’où la difficulté de le combattre.
Les avis sont unanimes au sujet de ce phénomène qu’on lie souvent à la pauvreté qui gagne de plus en plus de terrain. L’achat des consciences, aux yeux du Dr. Hassane Ould Amar Belloul, chef du département de Sociologie et de Philosophie à l’Université de Nouakchott, pose un véritable problème politique en Mauritanie.
“C’est un phénomène qui dénote d’un échec politique. Les gens n’ont plus confiance. Le résultat de la plupart de nos décideurs politiques est égal à zéro. L’électeur mauritanien ne voit pas dans quel intérêt doit-il donner son vote ? Comme il voit que l’autre ne fait que son intérêt propre ou celui de sa tribu, il se dit que j’aimerai avoir ma valeur directe”, explique-t-il.
Le fruit d’une absence du concept de citoyenneté
Pour certaines personnes interrogées à ce sujet, l’achat des consciences est le résultat d’une absence d’un encadrement politique sain. C’est un phénomène qui est aussi lié à l’ignorance et surtout à l’absence du concept de citoyenneté dans l’esprit des mauritaniens. “Les gens ne savent pas à qui voter. Pourquoi doivent-ils voter ? Pourquoi doivent-ils participer ?”, explique-t-il.
Cette absence de vision claire est due à l’en croire par le comportement du politicien lui-même. “Comme il ne veut que gagner, il va voir quel est le coût qui va lui faire gagner. Donc, il faut acheter. On dit en général que la démocratie est un système qui est relié avec l’argent. Nous sommes dans un pays où le concept de citoyenneté est absent”, poursuit Dr. Hassane Ould Amar Belloul.
Le revers de la médaille d’un tel phénomène c’est qu’il constitue un frein à la démocratie et notamment à l’exercice et à l’émancipation de la libre citoyenneté. “Dans un pays aussi pauvre que le nôtre, on a intérêt à ce qu’on développe et prône une démocratie qui est reliée avec le développement. Si on ne se comporte pas ainsi, tous les objectifs assignés à la démocratie ne seront pas atteints”, se justifie-t-il.
Il est évident que dans cette course effrénée vers le détournement du suffrage des électeurs, les programmes n’ont plus de raison d’être. “Nous sommes une société traditionnelle. Même si on n’achète pas la conscience, les gens ne votent pas pour les programmes. Ils votent pour la tribu, la race, etc. On n’a pas une vraie conception du vote”, rappelle-t-il.
Pour le Dr. Hassane Ould Amar Belloul, il n’y a pas de recette miracle. “Il faut conscientiser les gens en les inculquant une éducation citoyenne qui peut changer leur comportement. Il faut aussi que les politiciens changent leurs comportements et soient corrects quand ils s’engagent”, préconise-t-il.
Un phénomène compréhensible
Les mauritaniens ont toujours été coutumiers de ce fait qu’on assimile souvent à l’échec général des hommes politiques, au système politique mauritanien et à une absence de moralisation de la scène politique nationale. Ainsi, dans de telles conditions, peut-on parler d’élections crédibles ? Le doute est permis.
“C’est quelque chose d’inacceptable”, s’insurge Shérif Taher, professeur de Sociologie à l’Université de Nouakchott. “C’est un phénomène, à la limite, compréhensible. Nous sommes dans une société où plus de 50% de la population vivent au seuil de la pauvreté. On devient hélas une proie facile de la classe politique”, souligne-t-il.Qui dit achat de conscience dit argent à sortir pour épater les électeurs ! Ainsi, ce sera le moyen de dilapider les deniers publics sous le nez et la barbe de tout le monde. “Ils essaient de les réinvestir à nouveau pour garder leur puissance”, fait-il observer.
Le phénomène de l’achat des consciences n’est-il pas l’aboutissement d’une expérience démocratique inachevée, la faillite de tout un système politique, l’effondrement des valeurs de la République mais surtout l’érection d’un nouveau comportement, d’une nouvelle méthode d’accession au pouvoir et à coup sûr le chemin le plus rapide pour se percher confortablement sur la tête des citoyens ?
Les véritables fondements d’un tel phénomène sont à rechercher dans la nature même des mauritaniens. “Ici, les gens n’aiment que l’argent. Ils votent pour les plus offrants généralement”, analyse Camara Dramé. “C’est d’abord des hommes qu’on amène chez l’administrateur, qu’on photographie et le jour du vote, c’est d’autres qui votent pour lui et qui vont lui dire il faut voter pour la personne qui lui a été indiquée”, détaille Ladji Taroré, le secrétaire général de l’Alliance Populaire Progressiste (APP).
Le poids de la tradition
La tradition joue un rôle important dans l’ancrage d’une telle pratique. Mais, pour Ladji Traoré, le détournement du suffrage des électeurs n’est pas que matériel. “Il est aussi sociologique et idéologique, explique-t-il. Le meilleur moyen de détournement des voix et du suffrage des électeurs, c’est encore le poids de la tradition, de l’esclavage et de l’esprit de clans qui pèsent sur beaucoup d’électeurs qui sont sensés être des citoyens mais qui ne sont pas des citoyens libres. Le suffrage universel ne s’adresse pas aux citoyens aliénés”.
Le détournement du suffrage des électeurs est un fait, une réalité qu’on ne peut nier. Déjà, Pierre-Auguste-Joseph Messmer l’évoquait dans ses Mémoires où il explique comment les chefs de tribus, de fractions et les Emirs viennent auprès de l’administrateur pour vérifier les résultats des élections, pour peser sur ses élections et s’assurer qu’il n’y a pas eu de faille dans leurs tribus, leurs clans et que tout le monde a voté pour le candidat de l’administration coloniale. “C’est le même système qui continue dans certaines régions de la Mauritanie”, rappelle Ladji Traoré.
En effet, ce phénomène est plus récurrent à l’intérieur du pays du fait de la pauvreté extrême qui y règne, du fait de l’effet de l’argent, des promesses des candidats à un poste électif, de la corruption des chefs de village, de campement, des tribus qui s’engagent à faire voter l’ensemble des citoyens qui leur sont encore soumis. Comme dans le passé, l’achat des consciences a toujours cours en Mauritanie. En réalité, un tel phénomène qui est intrinsèque à l’argent va plus loin. Un tel acte somme toute contraire à l’éthique et à la morale politique est plus que jamais omniprésent. Même les leaders politiques n’y échappent pas.
Et ceux-là qui le font où prennent-ils tout cet argent ? “Certains candidats à l’élection présidentielle du 6 juin [qui a été finalement reporté] ont été achetés pour pouvoir accompagner le général Aziz”, rappelle Ladji Traoré. Ainsi, pour épater la classe pauvre qui constitue l’essentiel du réservoir électoral, certains hommes politiques ne lésinent pas sur les moyens. Il n’est pas souvent rare de tomber sur des spectacles insolites. On distribue par-ci et par-là des sacs de riz, du poisson dans certains quartiers de Nouakchott, des vivres. On promet des puits, des forages. On donne de l’argent cash contre la confiscation de la carte d’électeur.
Est-il possible de s’en débarrasser?
Pour le moment non. Toutefois, il y a une prise de conscience qui a commencé à naître dans l’esprit des citoyens croient certains. Comme toute pratique, il faudra du temps pour s’en débarrasser. Pour autant, certains mauritaniens veulent y croire. “Je suis de ceux qui pensent que les populations sont aujourd’hui éveillées en ce qui concerne ce phénomène là. Les gens savent ce qu’ils veulent. Maintenant, il y a ceux qui cherchent à pérenniser cette pratique d’antan.
Je pense que tout pays qui se veut sérieux doit vraiment essayer d’appliquer d’autres pratiques qui ne sont pas que l’achat des consciences”, affirme El Housseine Dieng, président de l’Initiative Pour Tous, une Ong qui s’active dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et l’analphabétisme. “Ce que nous voulons expliquer aux populations, c’est que les gens qui vont venir acheter vos voix vont vous oublier demain et les problèmes qui sont là, il faut mettre l’homme à la place qu’il faut”, poursuit-il.
Il n’y a pas de problèmes qui ne puissent pas trouver solutions. Et, pour M. Ladji Traoré, la Mauritanie peut bel et bien se débarrasser d’un tel phénomène. Cela suppose, à l’en croire, un jeu ouvert, un Etat civil généralisé (actes de naissance, carte d’identité, carte d’électeur…). “Le jour où on prendra en Mauritanie au sérieux le phénomène de l’Etat civil qui est la base de comptage du citoyen, on aura déjà réglé un grand problème”, soutient-t-il. “Quand il y a l’esclavage, quand il y a la pression de la féodalité, on n’aura pas des citoyens libres qui pourront voter librement”, conclut-il.
Entre une certaine classe politique qui a opté pour cette manière de faire de la politique en abusant de l’ignorance et de la dépendance de certains citoyens pour se faire élire et certains citoyens qui acceptent d’être achetés comme du bétail, qui doit-on blâmer ? De même qu’entre la légalité, la liberté d’une part et la domination, l’exclusion et l’accaparement des biens par certains d’autre part, y’a-t-il possibilité de forger une nouvelle citoyenneté ?
Babacar Baye Ndiaye
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