dimanche 14 mars 2010

Ladji Traoré au sujet du dialogue Pouvoir /Opposition


«On a le sentiment qu’Aziz n’a jamais lu les accords de Dakar qui lui ont permis de se couvrir d’un cache-sexe pour transformer un coup d’état militaire en coup d’état démocratique»


Ladji Traoré, une des figures de proue de l’Alliance Populaire Progressiste (APP), balaie d’un revers de la main les charges portées par le Président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz lors de son meeting d’Arafat contre l’opposition qu’il a accusée d’être de mèche avec l’étranger. A son tour, il n’a pas manqué de dénoncer sa politique qu’il a qualifiée de populiste et de démagogique tout en l’invitant à s’asseoir pour une confrontation des programmes et des problèmes du pays. «S’il n’a pas peur de la confrontation, nous l’invitons au dialogue inclusif que nous n’avons cessé de réclamer depuis toujours et avec nous d’ailleurs la communauté internationale », lance-t-il. Entretien.

Le Rénovateur Quotidien : Comment analysez-vous le discours du Président de la République à Arafat où il a déclaré qu’il est prêt à dialoguer à condition que vous reconnaissiez sa victoire du 18 juillet 2009?

Ladji Traoré : En Afrique, dans ce processus de démocratisation vécu ça et là différemment, il ne faut rien minimiser. Le président ou le général Ould Abdel Aziz doit savoir qu’en ayant mis fin arbitrairement au régime démocratiquement élu du président Sidi Ould Cheikh Abdallah, un homme compétent respecté à l’intérieur et à l’extérieur du pays, il a créé l’une des plus grandes crises en Mauritanie qui aurait pu se solder par d’autres conséquences. Si l’opposition est allée aux négociations de Dakar, c’est pour pouvoir réfléchir aux autres questions du pays de manière consensuelle y compris en préparant des élections anticipées. On a le sentiment qu’Aziz n’a jamais lu les accords de Dakar qui lui ont permis de se couvrir d’un cache-sexe ou d’un prétexte pour transformer un coup d’état militaire en coup d’état démocratique. L’opposition, à la suite de la décision du conseil constitutionnel, a reconnu la légalité de son pouvoir dans la mesure où nous l’appelons au dialogue mais nous ne lui reconnaissons aucune légitimité parce que nous savons dans quelles conditions les élections de juillet se sont déroulées. On est habitué, en Afrique, à ce que des gens passent en force avec n’importe quelle élection. C’est de ce circuit que nous voulons sortir et aller vers un dialogue inclusif et apaisé y compris trouver des solutions aux problèmes graves que connait notre pays.

Le Rénovateur Quotidien : Dans son discours, Mohamed O. Abdel Aziz ne s’est pas empêché de vous titiller en disant que vous manquez de programme et de vision politique claire, d’où vos critiques fortuites?

Ladji Traoré : Sidi Ould Cheikh Abdallah, conscient de la gravité des problèmes que vivait la Mauritanie, avait reconnu deux choses : premièrement, la gravité du legs du passif humanitaire et deuxièmement l’urgence du retour des déportés mauritaniens au Sénégal et au Mali. Ces questions ont fait l’objet d’accords négociés entre APP et Sidi Ould Cheikh Abdallah pour mettre la Mauritanie sur les rails et la route de la réconciliation nationale sans tricherie et sans velléité de tromper qui que ce soit. Où en sommes-nous aujourd’hui de la solution correcte et non pas stipendiée du passif humanitaire ? Où en sommes-nous de la question du passif humanitaire ? Où en sommes-nous avec le problème du retour et de la réinsertion des réfugiés qui sont revenus dans leur propre pays après vingt ans et qui restent encore sous les hangars? On tait ces problèmes-là, on les banalise. On fait des discours, on fait de la démagogie. Un programme, ce n’est pas dire une chose aujourd’hui et dire son contraire demain ou chaque jour sortir ou aller à Haye Essakine ou à Arafat pour donner quelques terrains et les arracher ou les donner à d’autres. Il faut s’asseoir et de penser aux problèmes du pays non pas transformer des villas de passage en Centre Mère et Enfant inadapté mais d’avoir un véritable programme d’équipement du pays et de création de centres hospitaliers. C’est de cela qu’il s’agit. Dire que l’opposition n’a pas de programme montre qu’Aziz ignore son programme politique. Il ne croit qu’à son programme politique populiste et démagogique. Nous l’invitons à s’asseoir pour une confrontation des problèmes du pays. S’il n’a pas peur de la confrontation des programmes, nous l’invitons au dialogue inclusif que nous n’avons cessé de réclamer depuis toujours et avec nous d’ailleurs la communauté internationale.

Le Rénovateur Quotidien : Le Président de la République vous a également appelé à demander au peuple mauritanien pardon pour avoir défendu les prévaricateurs, le terrorisme et dénoncé la décision du gouvernement de rappeler son ambassadeur à Bamako. Quel commentaire en faites-vous.

Ladji Traoré : Je crois que les hommes politiques doivent parfois s’expliquer eux-mêmes. Vous êtes devant un homme (Ladji Traoré en personne) qui, pour des raisons de règlement de compte politique en 1980-81, le régime politique l’a jeté en prison en l’accusant de détournements de deniers publics. Après le coup d’Etat de Mâaouiya Ould Sid’ Ahmed Taya en 1984, on m’a demandé de sortir en prison, j’ai dit non. J’ai demandé à être jugé et blanchi ou condamné définitivement à vivre en prison mais je ne veux pas faire partie de ces hommes qui vont sortir et longer les murs le restant de leur vie. Je fais partie de ces hommes qui dirigent l’opposition. Il ne faut jamais passer par les raccourcis judiciaires pour régler des comptes politiques avec des adversaires politiques ou des hommes d’affaires sous prétexte qu’on lutte contre la gabegie. Tout le peuple mauritanien est dans le désarroi. Le cout de la vie économique n’a jamais été aussi précaire. Mohamed Ould Abdel Aziz a supprimé la SONIMEX de même qu’il vient de supprimer la SOCOGIM. Aziz est en train de tout bricoler. Sans s’asseoir et discuter des problèmes du pays, il est en train de tout mélanger et liquider les acquis du peuple mauritanien. Si quelqu’un doit bien demander pardon au peuple mauritanien, c’est bien Aziz. Ses décisions improvisées, contradictoires ne font qu’empirer la situation et aggraver les conditions de vie des populations. En 2007, ce sont ses hommes qui le soutiennent qui sont sortis dans la rue de Nouakchott pour dénoncer le terrorisme et appelé les oulémas à s’élever contre ce phénomène. Aziz était le premier en charge des problèmes sécuritaires du pays. Si, depuis lors, dans des conditions toujours obscures, il y a des affrontements avec les terroristes, qu’on dit nettoyer par-ci sans jamais montrer au peuple mauritanien ; quand on dit qu’on a saisi des tonnes de drogue, qu’on les détruise publiquement parce qu’il est arrivé parfois que des gens saisissent sur les terroristes ou les narcotrafiquants des tonnes de drogue et en font autre chose. Il faut cesser de taquiner notre opposition démocratique qui est très responsable. L’opposition a toujours dénoncé le terrorisme et nous continuerons toujours à le faire. Nous disons qu’il faut d’abord retourner les forces armées de sécurité à leur mission première qui est de sécuriser les biens et les services en Mauritanie, de sécuriser nos hôtes étrangers et que cela n’est pas possible tant qu’il n’y a pas une entente entre la Mauritanie et les pays voisins. Al Qaeda est logé là où on le sait. Nous pensons qu’il faut prendre ce problème ave beaucoup de sérieux, y mettre les moyens, mobiliser les forces anti-terroristes et donner la main aux pays étrangers pour organiser une véritable lutte contre le terrorisme dans la zone saharo-sahélienne. Les décisions prises par le gouvernement au sujet de la lutte contre le terrorisme montrent déjà leurs conséquences néfastes pour les populations. Tout le monde n’est pas terroriste et tout le monde n’est pas candidat au terrorisme. Nous ne sommes pas non plus les gardiens de l’arrière cour de l’Europe contre l’immigration clandestine qui a d’autres motivations et d’autres raisons. Il faut éviter de prendre le peuple mauritanien sous n’importe quel prétexte. Les récentes décisions administratives de surveillance des frontières ont déjà commencé à aggraver la corruption. Je crois que les villages sur le fleuve Sénégal et ceux des éleveurs et agriculteurs du Mali et de la Mauritanie sont condamnés à coopérer quotidiennement et je crois que ceux-ci ne sont pas complices des terroristes. Il ne faut pas pénaliser les populations mauritaniennes sous prétexte de lutte contre le terrorisme ou l’immigration clandestine. Et dire que les leaders politiques de l’opposition sont à la solde de l’étranger et du terrorisme relève de la démagogie. Dans les pays comme les nôtres, les complices des terroristes ou les facilitateurs des actes terroristes sont souvent cachés dans les arcanes du pouvoir parfois même dans les arcanes des forces de sécurité. Est-ce que la Mauritanie échappe à cette règle. Je me pose cette question parce qu’en réalité, il y a beaucoup de choses qui se sont passées dans ce pays dans la lutte antiterroriste qui interpelle et qui inquiète parce qu’il y a des noms de personnalités qu’on avance qu’ils soient dans les affaires ou les forces de sécurité. C’est à eux maintenant de faire leur autocritique.

Propos recueillis par
Babacar Baye NDIAYE

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